lundi 6 octobre 2014

L'art de parler pour ne rien dire








 
Cela fait maintenant quelques mois que ma collègue remplaçante et moi-même venons travailler la boule au ventre. Elle est souvent prise de malaises, tandis que mon stress se manifeste par une tension artérielle avoisinant les 20 ! Mais dans notre malheur, il me revient en mémoire une petite scène où nous avions été prises d’un fou-rire inextinguible. Ce qui était une chose rare en cette période de gros stress que nous traversions, l’une et l’autre. Un matin, nous trouvons dans nos casiers respectifs, une « invitation » à suivre une formation sur la gestion de la classe. Formation d’une petite heure, proposée à tous les nouveaux profs,  entre douze et treize heures, avec un collègue du collège, spécialisé dans « les conflits entre élèves et professeurs ». 
Soulagées de pouvoir trouver des solutions concrètes face à nos élèves récalcitrants, nous nous présentons à l’heure-dite dans la salle et saluons celui qui va nous dispenser ses connaissances. L’homme est impressionnant : très grand, costaud, barbu… Je me dis qu’avec un physique pareil, il ne doit pas être difficile de discipliner une classe. Après les présentations d’usage, il nous regarde, croise les bras et…ne dit rien ! On se regarde avec Sandrine, amusées. Voyant que nous nous taisons, il se lance :
    Je vous écoute ! 
    C’est plutôt nous qui allons vous écouter. Vous êtes censé nous aider dans la gestion de nos classes…
    Alors, racontez-moi vos petits malheurs !
Nos petits malheurs ? Parce qu’il appelle ce que nous subissons depuis plusieurs mois des petits malheurs ? Cela nous donne l’impression que nous ne sommes pas prises au sérieux, ou plutôt que ce nous vivons n’est pas très grave. Or, nous sommes, je le répète,  toutes les deux assez mal en point, stressées, angoissées, avec le cœur qui s’emballe à chaque fois que nous entrons dans une classe. Nous ne vivons plus, à l’idée d’affronter certaines classes et nous nous demandons à chaque fois ce qui va encore nous tomber sur la tête. 
Nous arrivons tout de même à lui faire part de notre ras-le-bol de ne pas pouvoir faire nos cours dans un minimum de silence. Cela n’a pas l’air de l’étonner et il nous dit qu’il ne faut pas nous attendre à un silence complet face aux élèves. Précisant que le bavardage n'est pas un phénomène nouveau, qu’il remonte à quelques décennies. Qu’il faut arrêter de croire que si nos élèves bavardent pendant les cours, c’est de notre faute, nous les professeurs. Ce n’est ni parce que nous n’avons pas d’autorité naturelle, ni parce que nos cours ne sont pas de bonne qualité. Il est inutile d’avoir honte, selon notre formateur. Au contraire, il faut en parler ! Car ce n’est pas parce les collégiens bavardent alors que nous déroulons notre leçon, que nous sommes de mauvais professeurs. Le bavardage est devenu un phénomène de société et nous n’y pouvons rien. Hummmm...
Concrètement, le formateur nous engage  à ne pas noter sur le carnet de correspondance, ni sur le bulletin scolaire, que l’élève est bavard et n’écoute pas. Selon lui, c’est tendre le bâton pour nous faire battre par les parents. En effet, ceux-ci ne manqueraient pas une occasion de nous faire savoir que si leurs enfants bavardent, c’est de la faute de l’enseignant qui ne sait pas les intéresser, que ses cours ne sont ni vivants, ni assez captivants pour qu’ils se taisent.
D’accord, nous voulons bien l’entendre, mais alors, que faire ? Nous devons leur apprendre à écouter et nous ne devons pas trop exiger d’eux. Et si nous sommes d’accord avec le fait qu’ils ne peuvent pas être attentifs huit heures par jour, nous sommes tout de même confrontés aux bavardages dès la première heure du matin. L’homme nous conseille de leur faire faire des exercices, avec des moments où on écoute, et des moments où les chérubins pourront dialoguer avec leurs voisins. Peut-être, mais personnellement, j’avais testé la méthode, notamment du travail en groupe et le chahut avait été tel que plus jamais je n’ai recommencé. En gros, en travail individuel, les élèves dorment ou chahutent, en groupe, ils se déchainent. Que faire ?
Notre collègue nous précise aussi qu’il faut mettre en place un cadre très strict, avec un système de sanctions. Histoire de leur faire comprendre qu’en classe, on ne bavarde pas. Là aussi, j’ai testé et comme on l’a vu, les sanctions, quand il y en a, ils n’en ont rien à faire. De vrais coups d'épées dans l'eau !
Pour ma part, je livre au formateur qu’au premier aver­tis­se­ment, j'indique à l'élève que je le changerai de place s'il continue à bavarder. Au deuxième rappel, je le déplace, au troisième, je lui donne un devoir à faire sur place et au quatrième, je l'exclus. Sauf que le premier point ne leur fait ni chaud, ni froid, le deuxième, je le déplace si celui-ci veut bien s’exécuter (car je ne veux pas passer l’heure à m’escrimer avec le récalcitrant, il y a trente autres élèves qui attendent). Au troisième point, le devoir ne sera jamais fait. Quant au dernier point, l’exclusion est bien souvent une exclusion « ping-pong », puisqu’on nous renvoie l’élève s’il n’a pas mis la vie des autres en danger. Alors, que faire ? 
En tous cas, au sortir de cette "formation", un seul constat nous vient : l'homme est le roi du "parler pour ne rien dire". Champion dans sa catégorie...

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